Interview de Deborah, entrepreneure engagée

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Deborah, 30 ans, partage sur son blog JeMeRecycle et son compte Instagram (36k followers) des informations et des astuces pour une consommation consciente et raisonnée. Parmi ces sujets de prédilection, la consommation responsable. On s’est donc dits que ce serait intéressant de l’interviewer 🙂

Tu travaillais dans le webmarketing, peux-tu nous en dire plus sur ce domaine ?

J’ai fait une formation en marketing de luxe, très générique, qui m’a permis de développer mes compétences dans le digital. Puis j’ai travaillé pendant 5 ans dans la communication et le marketing pour plusieurs entreprises (luxe, divertissement, immobilier…)

Quel lien fais-tu entre ton ancien métier et celui d’aujourd’hui ? 

Je suis passionnée par les stratégies qu’emploient les marques pour promouvoir leurs produits. C’est très intéressant notamment dans le luxe, un milieu du paraître. J’avais besoin de comprendre cette notion de désirabilité forte du produit, son pouvoir, et l’intérêt de faire passer des messages via le webmarketing.

Je n’étais pas active sur les réseaux sociaux mais je les utilisais pour mon travail et j’ai pris conscience de leur potentiel de diffusion d’informations. J’ai alors souhaité m’en servir à des fins utiles, autrement que de pousser les gens à consommer. Pour moi, le marketing et la communication peuvent servir à faire passer des messages avec plus de sens et à sensibiliser sur des causes importantes.

Selon toi, pourquoi consommons-nous autant ? 

Nous n’avons pas toujours été des grands consommateurs. C’est notre société qui nous a fait évoluer vers des consommateurs de masse. Avant, en période de guerre, les gens se contentaient de peu car ils avaient peu de moyens. Avec l’ère industrielle, est arrivée une production à grande échelle et lorsque le niveau de vie a augmenté, la société nous a proposé toujours plus de produits à des prix toujours plus attractifs. Par exemple, les vêtements puis les appareils électroménagers sont devenus de moins en moins chers créant une concurrence entre les entreprises et baissant encore plus leurs prix. Tout ça s’est fait progressivement.

Qu’est-ce que nous procure ces biens matériels et pourquoi consommons-nous ?

Notre manière de vivre de nos jours est très intense, le contexte difficile, et nous travaillons dur. Les gens sont de moins en moins épanouis alors, ils ont tendance à compenser en se faisant plaisir !

Le fait de consommer est un acte très personnel qui donne une sensation de bien-être, une récompense et un plaisir instantané.

Par exemple avec la mode, dans 70% des cas, on achète un vêtement que l’on ne portera qu’une seule fois et qui restera au placard le restant de l’année. Finalement peu importe ce que devient l’achat, car ce qui est recherché c’est le plaisir immédiat. C’est au moment où tu l’achètes que tu ressens le bien-être et c’est suffisant. Si tu as passé une mauvaise journée ou reçu une mauvaise nouvelle, elles sont contrebalancées par le réconfort d’acheter. Et ça devient une forme d’addiction.

C’est aussi le sentiment de nouveauté qui pousse à consommer. Quand j’étais enfant par exemple, avant la rentrée des classes, mes parents m’achetaient toujours des nouvelles fournitures ou de nouveaux vêtements. Acheter quelque chose de neuf, c’est comme repartir sur de nouvelles bases.

Comment détecter le greenwashing de consommation ?

Je dirais que c’est un sujet en perpétuel développement et qu’il faut constamment se remettre en question. Rien n’est parfait et il faut se méfier des entreprises qui donnent justement une image trop parfaite,  car tout a un impact. La production, la distribution et la consommation font partie d’un écosystème à considérer dans son ensemble.

Mon compte JeMeRecycle permet de donner des clés pour détecter le greennwashing, en fonction des valeurs de chacun et de ce qui est ressenti comme prioritaire. L’éco-responsabilité découle de sa propre sensibilité. Il faut se poser la question de ce que le greenwashing veut dire pour nous et ce que l’on attend d’un produit écoresponsable.

Pour moi le greenwashing c’est quand une marque se sert d’arguments écoresponsables dans sa communication , pour faire oublier les produits qui ne le sont pas. Hors, les entreprises devraient être transparentes, accepter leurs failles plutôt que de les dissimuler. 

Y-a-t-il un film, un livre ou un média qui t’a inspiré dans ta transition écologique ?

Oui ! Un documentaire intitulé « The True Cost » datant de 2015, qui dénonce l’impact environnemental de la mode sur notre planète. C’est un domaine sur lequel on peut agir beaucoup plus facilement que sur d’autres car nos placards débordent de vêtements et que la mode consiste surtout à suivre des tendances faîtes pour séduire le consommateur.

Comment gères-tu la tentation liée aux stratégies commerciales ? Utilises-tu la méthode BISOU ?

Bien sûr ! C’est une méthode très efficace.

Il faut procéder par étapes et se poser les bonnes questions dès qu’on effectue un nouvel achat. C’est une démarche essentielle pour mieux consommer car nous consommons beaucoup plus que ce dont nous avons réellement besoin. C’est surtout les valeurs qui entrent en jeu, pour reprendre l’exemple du secteur des vêtements, personnellement j’évite d’acheter neuf et je privilégie la seconde main ou l’upcycling.

Est-ce que l’éco-responsabilité est synonyme d’anxiété ? 

D’après la docteure Alice Desbiolles, les personnes éco-anxieuses sont des personnes lucides qui se rendent compte que la crise actuelle existe. Le meilleur remède contre l’éco-anxiété,  c’est l’action. Il ne faut pas se mettre d’œillères et accepter la réalité. Personnellement, je ne suis pas de nature anxieuse mais je suis inquiète pour la survie de l’humanité.

Dans une étude de Carbone4, on apprend que notre consommation et nos actions à l’échelle individuelle représentent seulement environ 25 % de l’empreinte écologique globale. Avec du recul, on comprend que tout ne repose pas sur nos épaules et que nous ne pouvons pas faire plus que de faire de notre mieux. Il faut lâcher prise et ne pas trop culpabiliser, même s’il faut garder en tête que nos dépenses contribuent à financer des entreprises très polluantes et que nous devons en être conscient à chaque achat. 

Si tu avais la possibilité de changer le monde, par quoi commencerais-tu ?

Je réglerais d’abord le problème des inégalités dans le monde car nos modes de vie occidentaux font pression sur le reste de la planète, avec une mauvaise répartition des richesses et une consommation de masse qui découle de ces richesses. C’est donc la dimension sociale que j’intégrerais en premier. 

Une phrase d’Aurélien Barreau, un astrophysicien qui a écrit comme livre « le plus grand défi de l’humanité », m’inspire et me réconforte :

« On aurait probablement plus de chance de survivre à la crise écologique avec 10 milliards d’être humains qui vivent dans des conditions décentes plutôt qu’avec 7 milliards qui font n’importe quoi. » 

Et donc, vivre ensemble de manière plus harmonieuse, c’est possible ! 

Peux-tu nous parler de ta transition personnelle en matière d’écologie ? 

C’est pour moi une transition progressive et qui demeure en constante évolution, en fonction de mes valeurs qui évoluent aussi et de mon développement personnel. J’ai eu plusieurs déclics : je lisais des livres et j’écoutais des podcasts comme Nouveaux Modèles ou Basilic qui partagent des parcours d’entrepreneurs désireux de changer les choses avec créativité, innovation, propositions de solutions… 

Personne n’est parfait. On peut parfois faire de grands changements puis revenir en arrière. La transition n’est pas linéaire et il faut assez d’exigence mais sans se mettre la pression, car tout ne dépend pas de soi. Mon évolution s’est faite au fil de mes rencontres mais aussi de la maturité que j’ai acquise au fil des années.

Est-ce que c’est dur à vivre d’être en marge de cette société de consommation ?  

Mon entourage, mes proches et amis, sont très peu sensibilisés à l’écologie. Ils s’intéressent à mon travail mais ce n’est pas un sujet sur lequel on discute forcément. Ce sont les réseaux sociaux qui m’ont permis de trouver ce partage d’expériences. Pour autant, mes parents ont tout de suite toléré mon végétarisme, et c’est cette même tolérance que j’applique envers mes proches et ceux qui ne comprennent pas toujours pourquoi je suis si activiste dans mes engagements. 

Peux-tu nous en dire plus sur ton projet de marketplace et tes motivations  ? 

Nous avons co-créé un projet de marketplace avec des amis. Il s’agit d’une plate-forme de vente qui rassemble des marques et des créateurs sélectionnés sur des critères écoresponsables. Nous nous sommes posés la question de ce que nous voulions mettre en avant mais surtout les personnes avec lesquelles nous souhaitions travailler.

Finalement, nous avons pris la décision de nous spécialiser dans les matières recyclables. Trop de matières sont vouées au gaspillage et on continue de produire, de puiser dans les ressources naturelles. La production de matières engendre une forte pollution et la destruction d’écosystèmes donc il faudrait arrêter de produire des matières inutiles et se baser sur des matières déjà créées, avec les matières recyclées ou encore mieux l’upcycling. 

Ce ne sont pas toujours des matières naturelles mais le recyclage et l’upcycling réduisent déjà considérablement l’impact écologique.


Que regardes-tu en premier pour savoir si un produit est écoresponsable ?

Porter attention à la matière du produit est primordial pour moi, surtout l’impact de cette matière. Je dirais que c’est mon premier critère d’achat avant de financer une marque. 

Je suis pour l’écoconception et l’économie circulaire qui permettent de réutiliser les matières. C’est pour ça que dès la réalisation de mon blog jemerecycle, j’ai commencé par m’intéresser aux marques utilisant des matières recyclées et favorisant l’upcycling. Avec l’éco-conception, on minimise l’impact de la production, fabrication, transformation, et donc de l’industrialisation. L’économie circulaire me semble être une bonne alternative car elle rallonge la durée de vie. L’impact écologique ou énergétique en termes de matières recyclées n’est pas neutre mais l’épuisement des ressources est diminué. Il faut aussi lutter contre les lobbies, et rendre la durée de vie du produit la plus longue possible.

Mon deuxième critère de sélection serait de regarder qui est la marque, et le message véhiculé par cette marque. Quand tu achètes auprès d’une marque, tu la finances, tu participes à son développement, tu la fais vivre à travers ton achat donc autant le faire en toute conscience. Faut-il consommer auprès d’un grand groupe ou auprès d’un commerce indépendant ? Faut-il privilégier le local ou le bio ? Rares sont ceux qui sont 100 % écoresponsable.

Comme troisième critère, j’opterais pour une fabrication transparente et des conditions respectueuses des droits humains. Dans quel pays et dans quelles conditions sont fabriquées les produits que je consomme ? En France, la question du coût et un manque de savoir-faire poussent les entreprises à délocaliser leurs productions. Est-ce que le made in Bengladesh peut être éthique, par exemple ? Le label Fair Wear garantie une production plus respectueuse dans des meilleures conditions de travail avec une dimension éthique mais ce n’est pas du local. C’est toujours une question de nuances propre à chacun. Et puis, il y a une différence entre les entreprises qui produisent directement et celles qui sous-traitent et ont un regard moins fiable sur leurs produits car elles ne gèrent pas toute la chaîne, de la production à la mise en rayon. 

Est-ce que l’écologie ne devient-elle pas un produit de consommation ?  

Que les marques s’en emparent n’est pas une si mauvaise chose mais les consommateurs doivent être suffisamment exigeants pour distinguer un discours de greenwashing de celui des marques qui font de véritables efforts. La marque imparfaite mais qui est transparente sur ses engagements et axes d’amélioration est une marque dans une très bonne dynamique.

Comment penses-tu que la société va évoluer en terme de consommation ?

C’est vrai que l’écologie devient une sorte d’argument marketing. C’est comme ça qu’évolue la société en matière d’environnement et ce n’est pas si mal. Malgré tout, faire de l’écologie un argument de vente comme avec des entreprises qui soutiennent soudainement des associations pour intégrer des engagements écologiques et éthiques dans leur démarche, parce que l’écologie fait vendre, n’est pas la solution.

Cela dit, l’écologie a longtemps été stigmatisée avant avec une image d’« écolo bobo » assez forte mais plus elle se démocratise, plus les personnes prennent conscience que l’écologie c’est une manière de vivre plus raisonnable et non une lubie. Et c’est de ça dont on a besoin.

Peux-tu nous donner ton avis sur Nouveaux-Consos?

C’est une start-up intéressante, il nous faut des acteurs indépendants  qui permettent de mieux aiguiller les consommateurs pour savoir quel produit choisir et qui n’ont pas d’intérêt à vendre des produits. De plus, l’électroménager est parfois soumis à l’obsolescence programmée. Combattre cette pratique fait partie des plus grands challenges pour faire durer les appareils et revoir à la baisse notre consommation d’électroménagers. Certains fabricants pensent à l’écoconception. Le but serait que les produits électroménagers durent dans le temps et en plus, puissent être réparés.

Vincent

Je suis passionné d'écologie et de seconde-main. Je tente depuis 10 ans, de proposer aux gens des alternatives à la sur-consommation en achetant de seconde-main, reconditionné ou à réparer. J'écris sur nouveaux-conso les rubriques sur le calcul du score carbone.